Au pied des Pyrénées, les immenses carcasses s'enchevêtrent, certaines presqu'entièrement démembrées, tandis que d'autres patientent, ailes efflanquées, nez amputé, dans l'attente d'un destin similaire.
Une quinzaine de vieux avions sont en cours de déconstruction sur le site de l'entreprise Tarmac Aerosave, près de Tarbes, véritable "cimetière des éléphants" de l'aviation.
Il y a là plusieurs Airbus qui, après avoir écumé tous les cieux du globe, sont revenus finir leurs jours dans ce Sud-Ouest qui les a vu naître. Comme échoué là, un Boeing 737-300 à la peinture fatiguée avoisine un vieil A320.
À chaque fois, les ouvriers ont prélevé les équipements réutilisables - moteurs, trains d'atterrissage... - et entreprennent désormais d'en tronçonner la carcasse pour trier les matériaux. L'objectif est de recycler jusqu'à 90% de la masse de l'appareil.
"On estime que 6.000 avions dans le monde arriveront en fin de vie dans les 20 prochaines années", explique Philippe Fournadet, président de la société baptisée Tarbes Advanced Recycling & Maintenance Aircraft Company (Tarmac).
"L'idée, c'est de 'déposer' les équipements qui représentent la valeur résiduelle de l'avion (...) Ensuite, on prend soin de la carcasse restante."
Installée depuis 2008 en face de l'aéroport de Tarbes-Lourdes, l'entreprise avait, à fin mai, déconstruit 21 avions et entamé le démantèlement de 12 autres.
Avec sa quarantaine d'employés, elle assure aussi une activité de stockage et de maintenance d'appareils qui représente 70% de son chiffre d'affaires de 7,7 millions d'euros.
Les 30% restants correspondent à la déconstruction des modèles en fin de vie, où, comme le souligne Philippe Fournadet, "le maître-mot, c'est le respect de l'environnement".
KÉROSÈNE, URANIUM ET AMIANTE
Le site de 30 hectares dispose de zones de déconstruction étanches et d'un système de collecte des eaux de pluie pour éviter des fuites de liquides dangereux.
"Un vieil avion, ça goutte. Les fluides, c'est le plus compliqué à maîtriser", explique Sébastien Médan, responsable de l'activité déconstruction, qui cite en exemple le kérosène, très inflammable, ou l'huile hydraulique. Certains vieux appareils contiennent aussi des masselottes d'équilibrage en uranium appauvri, voire de l'amiante, qu'il convient de retraiter de manière adéquate.
"Notre rôle, c'est de prendre un déchet complexe et de le trier en déchets simples", résume-t-il à l'ombre de la carcasse d'un A340-300. Non loin de là, sous le chaud soleil de juin, deux grues s'affairent pour déplacer un autre appareil et le positionner sur des cales.
Les matériaux triés sont entreposés dans une zone dédiée où s'entassent sièges et pièces de fuselage en aluminium, tuyauterie en inox, tuyaux de conditionnement d'air en titane, pneumatiques usagés. En moyenne, une carcasse d'avion contient 70% d'aluminium.
Recyclés, ces matériaux connaîtront une deuxième vie dans l'électroménager, le génie civil, ou revoleront peut-être dans les entrailles d'un autre avion.
Certains éléments connaissent une destination plus "exotique", ajoute Sébastien Médan, comme ces cockpits prélevés pour devenir des simulateurs, ou bien ces portes d'avions réutilisées pour la formation des personnels navigants.
DON D'ORGANES
Parmi ses actionnaires, Tarmac Aerosave compte l'avionneur Airbus, le motoriste Snecma et la société de gestion des déchets Sita, filiales respectives d'EADS, Safran et Suez Environnement.
Airbus en retire un retour d'expérience sur la manière dont vieillissent ses avions et peut essayer d'anticiper, dès le bureau d'études, la future opération de déconstruction que connaîtra un jour chaque appareil. Snecma, de son côté, y voit une source d'approvisionnement en pièces d'occasion.
A l'entrée du hangar de 30 mètres de haut où s'effectuent les opérations de maintenance, des caisses de bois sont alignées, barbouillées au feutre du descriptif technique des pièces détachées qu'elles contiennent, en attente d'être reéxpédiées au propriétaire de l'appareil.
"Qu'est-ce qui conduit un avion à s'arrêter ? Ce sont toujours des raisons économiques", précise-t-il. "Un avion qui vieillit consomme du fuel, suppose de grosses interventions de maintenance, ce qui coûte souvent cher."
D'où le prélèvement de la "valeur résiduelle" de l'appareil et sa réintroduction sur le marché de l'occasion, comme une sorte de don d'organes de la part de ces vénérables éléphants en fin de vie.
"On peut dire ça, oui, sauf que ce n'est pas un don", s'amuse le dirigeant, qui travaillé pendant 20 ans au sein des activités maintenance d'EADS avant de prendre la tête de Tarmac.
Philippe Fournadet confesse d'ailleurs une certaine émotion de devoir présider aux derniers instants de ces géants du ciel.
"La première fois qu'on a déconstruit un appareil, ça me faisait bizarre de savoir que c'était son dernier vol... Mais après, on s'habitue."
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